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Exutoire d'idées gênantes

Critique de la définition macroniste de la démocratie

24 Janvier 2020 , Rédigé par Valny

Un discours révélateur

Ce 23 janvier 2020, alors que le président Macron se rendait en Israël, il a invité plusieurs journalistes dans son avion pour discuter. Il en est ressorti plusieurs articles dont celui, très court, publié dans Le Monde. Dans cet article, notre cher président s'est évertué à critiquer ceux qui considèrent que la France n'est pas une démocratie en argumentant, comme à son habitude, de manière très manichéenne. Pour lui, si un régime n'est pas une démocratie, c'est donc forcément une dictature, il n'y a pas de demi-mesure. Chose assez amusante quand on considère qu'il parvient très bien à en trouver quand il s'agit de parler de la Hongrie d'Orbán ou de la Turquie d'Erdogan.

Voyons en détail la définition macroniste de la dictature : "La dictature est un régime où une personne ou un clan décide des lois". Quand on voit l'empressement du premier ministre à trouver un compromis sur la réforme des retraites avec ses opposants ou la capacité des députés LREM à travailler avec leurs collègues d'autres groupes politiques, on constate avec amusement que le président décrit ici son propre gouvernement.

Arrêtons-nous maintenant sur sa définition de la démocratie : "La démocratie, c'est une régime où on choisit nos dirigeants. C'est un régime où l'on choisit des représentants qui auront à voter librement les lois qui régissent la société. [...] On a un devoir de respect à l'égard de ceux qui représentent et votent les lois parce que précisément, on a le pouvoir de les révoquer." Pour quelqu'un qui s'est défini comme un président philosophe, il n'a pas dû lire les bons auteurs. L'élection en elle-même ne fait pas la démocratie. L'Iran, par exemple, choisit ses dirigeants, il y a des élections en Russie ou au Vénézuéla, pourtant, ce sont rarement ces pays qui sont utilisés comme exemple de régimes démocratiques. Nous avons, par ailleurs, déjà fait la critique du régime dit "représentatif" dans un précédent article. D'autre part, il parle de révocation des élus comme d'une possibilité alors que la Constitution de 1958 interdit clairement cette possibilité en son article 27 qui dit que "tout mandat impératif est nul".

Le manichéisme comme seul argument

Le discours macroniste a ceci d'amusant qu'il ne se défend que de manière manichéenne. Pour faire simple, le manichéisme est une façon de réduire le monde à deux options qui sont le bien et le mal, le blanc et le noir, sans nuance possible. C'est ainsi qu'Emmanuel Macron s'est fait élire en 2017 et c'est ainsi qu'il défend son pouvoir depuis. Son parti a fait campagne en le présentant comme seule alternative à la candidate d'extrême-droite avec un argumentaire ignorant totalement tout autre candidat.

Cette stratégie s'est avérée payante à court terme mais elle a un défaut à long terme : si l'on n'offre aux citoyens que deux options, à savoir LREM ou le RN, ils choisiront, souvent à contre cœur, l'option que l'on présente comme la seule socialement et politiquement acceptable, à savoir LREM. Sauf que si l'option choisie se révèle mauvaise pour leurs situations personnelles, ces même citoyens n'auront d'autre solution que de se tourner vers la seule autre option présentée, quand bien même elle ait été présentée comme politiquement inacceptable.

De même, dans l'article précité, le président Macron incite ses opposants à "aller en dictature!" avant de rappeler avec emphase que "nous sommes une démocratie". Mais voila, quand on déclare que notre régime actuel est une démocratie alors même que l'on décrit celle-ci comme l'exact opposé du gouvernement actuel, il est fort possible qu'une partie au moins des opposants au parti au pouvoir se laissent tenter par cette proposition.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que ce discours rappelle franchement la fameuse rhétorique "La France, tu l'aimes ou tu la quittes!" longtemps utilisée par l'extrême-droite et les partis souverainistes de tout poils. Elle s'inscrit également dans la continuité de la déclaration de septembre 2019 de ce même président Macron face aux manifestations de jeunes pour le climat "Qu'ils aillent manifester en Pologne!"

L'importance de la nuance

Le parti présidentiel, et Emmanuel Macron lui-même, n'arrivent donc pas à concevoir l'idée d'une opposition légitime. Qu'ils soient de bonne ou de mauvaise foi, ils se voient comme le côté du bien, du progressisme et de la démocratie et considèrent donc toute forme d'opposition comme le mal et le chemin vers la dictature. C'est oublier, volontairement ou non nous ne saurions le dire, qu'entre le blanc et le noir, il existe une vaste palette de nuances (sans vouloir paraphraser le titre d'une série de romans pseudo érotiques d'une qualité discutable).

La France actuelle est-elle une dictature? Clairement pas. La liberté d'expression, bien qu'entamée, reste garantie, la justice fonctionne encore à peu près, les manifestations sont réprimées mais restent possibles. Il arrive même qu'on demande l'avis des citoyens sur certains sujets! Certes dans un cadre contraint et sur des sujets somme toute sans grande importance mais certaines collectivités peuvent se targuer de mettre en place des mécanismes de "démocratie participative", quand bien même la juxtaposition de ces deux mots qui devraient former un pléonasme en dit long sur l'idée même de démocratie dans ce pays.

Vit-on dans une démocratie? Nous avons déjà évoqué cette question dans ce blog et notre conclusion était et reste encore que notre régime n'est pas pas démocratique, il s'apparente encore et toujours à une aristocratie élective. Il n'y a pas de jugement de valeur ici. Une aristocratie élective n'est pas un mauvais régime en soit, il permet un gouvernement stable et efficace tout en écartant les courants de pensée extrémistes du pouvoir. La légitimité de ce type de régime repose cependant sur sa capacité faire oublier qu'il n'est pas démocratique et c'est le gros défaut du gouvernement actuel. Emmanuel Macron est tout de même le premier chef d'Etat depuis De Gaulle en 1958 qui se sent obligé de justifier le caractère démocratique de son pouvoir. Rappelons qu'à l'époque, De Gaulle venait d'arriver au pouvoir alors que le pays était au bord de la guerre civil et dans des circonstances proches du coup d'Etat...

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