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Exutoire d'idées gênantes

Vive la volte!

9 Janvier 2019 , Rédigé par Valny

Pour en finir avec la Révolution

Le terme de révolution est ancrée dans la culture politique française comme si elle était la réponse à tous les problèmes. Chaque parti politique s'en revendique sans jamais la définir clairement, de telle manière que chaque citoyen puisse y trouver ce qu'il veut. Notre pays a connu diverses révolutions, plus ou moins manquées ou récupérées.

Si une révolution est définie comme "un renversement brusque et violent d'un régime politique", ça n'a pas empêché Emmanuel Macron de nommer ainsi son "programme politique" alors qu'il était candidat à la présidentielle. Toutefois, ce terme est avant tout un terme d'astronomie qui est défini comme "le mouvement périodique d'un corps céleste autour d'un autre". Ou, dit plus simplement, le temps que met une planète ou un satellite à revenir à la même place après avoir gravité autour d'une étoile ou d'une planète. Et en politique, c'est souvent la même chose : une révolution bouscule l'ordre établi avant de restaurer un pouvoir qui n'est pas très différent du précédent mais simplement exercé par quelqu'un d'autre.

C'est ainsi que la Révolution de la 1789 a chassé l'aristocratie et le roi du pouvoir pour la remplacer par la bourgeoisie et l'empereur sans faire beaucoup de place au peuple lui-même. La Révolution de 1830 a chassé un roi pour le remplacer par un autre. Celle de 1848 a institué une république qui se voulait sociale avant que les revendications sociales soient écrasées dans le sang lors des journées de juin et que la république soit remplacée par le second empire. La IIIème République est née dans le sang des communards  qui réclamait la justice sociale pour être gouvernée par la bourgeoisie capitaliste jusque dans les années 1930, malgré quelques avancées sociales.

D'une certaine manière, les IVème et Vème Républiques sont nées des acquis de la résistance contre les nazis, mais presque tous les gouvernants depuis les années 1970 se sont évertués à réduire ces acquis. On pourrait d'ailleurs qualifier la prise de pouvoir de De Gaulle en 1958 de coup d'État qui remis en place un pouvoir autoritaire laissé plus ou vacant depuis la fin du Second Empire (si on excepte la période vichyste, bien entendu).

Dans tous les cas, chaque révolution et changement de régime a fait place à une forme de démocratisation du pouvoir avant que celui-ci soit repris en main par une élite aristocratique, voire monarchique. On pourrait d'ailleurs élargir cette analyse à d'autres révolutions partout dans le monde, le meilleur exemple étant la révolution russe de 1917. Celle-ci a en effet remplacé une aristocratie de droit divin par un système tout aussi aristocratique de parti unique accessible uniquement par cooptation et un modèle capitaliste ploutocratique par un capitalisme d’État monopolistique dans lequel les travailleurs n'était ni plus libres, ni mieux payés, ni mieux traité que dans le régime précédent. Plus récemment, on a pu voir que les changements de régimes issus de ce qu'on a appelé les "Printemps Arabes" n'ont fait que remplacer quelques figures usées par de nouvelles, dans le meilleur des cas.

Ni révolution, ni évolution

Alain Damasio, auteur français de science-fiction, invente dans son livre La Zone du dehors un terme décrit comme une forme d'anarchisme. La révolution étant un retour au point de départ et l'évolution n'étant qu'une modification très limitée d'un régime perçu comme totalitaire, Damasio invente le terme de Volte ou Volution. Les notions de révolution et d'évolution sont considérées comme insuffisantes et donc rejetées pour faire place la volution qui serait une destruction pure et simple d'un régime sans possibilité de retour en arrière. S'il s'agit bien d'une forme d'anarchie dans le cadre de ce roman, le terme de volte ou volution est intéressant même pour ceux qui ne sont pas anarchistes.

Il ne s'agit pas ici de prôner l'anarchie. Le terme de volution pourrait être utilisé par ceux qui souhaitent un modification radicale du régime politique en place sans pour autant que le changement soit de nature violente. Dans le livre de Damasio, la Volution finit par prendre la forme d'un exil des "voltés" en dehors du territoire de la cité. Cet exil géographique pourrait être un exil plus symbolique dans la réalité, et c'est déjà ce qui a pu se produire dans divers lieu où s'est cristallisé un affrontement entre "l'ordre républicain" et certains critiques du système en place.

Le mouvement des "Gilets Jaunes" n'a visiblement pas encore pris conscience des limites du régime représentatif dans lequel nous vivons (que nous avons déjà évoqué dans cet article ou dans celui-ci). Ces manifestants n'arrivent pas à imaginer un autre modèle que celui qu'on nous présente, depuis notre enfance, par tous les canaux possibles, comme le meilleur et le seul possible. Ou, pour reprendre les mots de La Boétie, "La première raison de la servitude volontaire, c'est l'habitude". Les Gilets Jaunes demandent au gouvernement que leurs revendications soient entendues, ils protestent contre des mesures qu'ils trouvent injustes sans comprendre que le gouvernement n'a aucune raison de changer de politique tant qu'il restera "titulaire de la violence légitime". Dit plus frontalement, tant que les forces de l'ordre lui restent fidèles, le gouvernement peut rester sourd.

La désobéissance civile, les pétitions, les marches pacifiques, les manifestations, violentes ou non, partent du principe que c'est le gouvernement qui, à la fin, impulse les évolutions du système. En soit, ceux qui comparent le mouvement des Gilets Jaunes à une révolution ont raison en ce qu'il n'aboutira pas à un renversement du système mais, au mieux, à un changement de ceux qui exercent le pouvoir. On pourrait même plutôt comparer ce mouvement au Journées de juin 1848 où ceux qui souhaitaient que la Seconde République soient une république sociale ont été massacrés par un gouvernement à peine installé. Bien sûr, de nos jours, on ne demande plus à l'armée de maintenir l'ordre (encore que...), mais la très longue liste des violences policières montre que le gouvernement n'a pas changé de méthode depuis 170 ans.

L'exil symbolique

Si le peuple tout entier voulait vraiment un changement comme il semble vouloir le dire, il pourrait le faire de manière plus raisonnée, plus pacifique et plus efficace : en arrêtant de reconnaitre le pouvoir des institutions en place. La première étape aurait été de ne pas participer au pseudo grand débat national que le président avait lancé. Le gouvernement a déjà montré, par le passé, que les consultations des corps intermédiaires n'étaient qu'une méthode de légitimation d'une réforme dont personne ne veut. Il n'y avait pas de raison de penser que ce débat serait différent. Il donna lieu à des discussions creuses et consensuelles dont rien n'est sorti. Le président lui-même a déclaré qu'il ne renoncerait pas aux "grandes orientations" sur lesquelles il prétend avoir été élu. Autrement dit : je vous laisse exposer vos revendications et vos frustrations pour mieux les enterrer.

L'étape suivante serait d'arrêter de voter lors des élections, mouvement qui a déjà commencé lors des dernières présidentielles et législatives. Les pouvoirs en place seraient alors privés de la légitimité du vote populaire et ne pourraient plus alors imposer leurs décisions à personne. Enfin, il faudrait passer par la désignation, par une méthode plus démocratique que le vote, des représentants et des dirigeants parallèlement à ceux qui existent, dans des territoires plus adaptés à la vie de chaque citoyen. Les institutions en place pourraient bien continuer à fonctionner mais n'auraient plus aucune légitimité à le faire.

L'exemple des ZAD

Ce type de manifestation a d'ailleurs déjà eu lieu à petite échelle et dans des lieux bien précis. Le meilleur exemple est celui de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes ou une petite communauté s'est élevé face à un projet considéré par eux comme "inutile et imposé". Que leur combat soit fondé ou non n'est pas l'objet de cet article. Il faut cependant noter la disproportion de la réponse de l’État face à quelques centaines de militants venus occuper un terrain relativement inhospitalier. Même après l'abandon du projet, plusieurs milliers de gendarmes ont été déployés pour expulser quelques dizaines de personnes et raser un poignée de constructions illégales.

Pourquoi un tel déploiement de force? Certains diront que c'est encore une fois une façon pour le gouvernement d'employer le seul levier de pouvoir qu'il lui reste après avoir abandonné tous les autres à des acteurs privés, à savoir le maintien de l'ordre (comme nous en avions parlé dans cet article). Il est pourtant plutôt l'expression d'une peur. La peur qu'ont certains de nos gouvernants qu'on puisse vivre sans eux, que leur pouvoir n'est pas incontournable et leurs idées pas sans alternatives. C'est un exemple un peu trop voyant de ce qu'on pourrait qualifier d'exil symbolique.

Ces gens ne revendiquent pas la possibilité de vivre en dehors de la société, ils veulent en faire partie à part en entière au contraire. Ils revendiquent la possibilité de vivre en dehors d'un système politique et économique qu'ils ne veulent pas reconnaître, sans pour autant l'attaquer de front. Il n'y a rien de plus dangereux pour un gouvernement qu'un contre-exemple qui fonctionne mais qui n'essaie pas de se généraliser ni de s'imposer par la violence. Il est perçu comme un cancer. Pas un cancer virulent qui tue en quelques semaines, plutôt une petite tumeur sans importance à laquelle on ne prêt d'abord pas attention mais qui finit par devenir fatale parce qu'on l'a négligée jusqu'à ce qu'il soit trop tard. Il était donc essentiel d'écraser la ZAD de Notre-Dame-des-Landes le plus énergiquement possible et de faire revenir rapidement ces brebis égarées du capitalisme dans le droit chemin de marché libre et non faussé.

Les Gilets Jaunes et la tentation d'une autre route

Le mouvement des Gilets Jaunes peut, en ce sens, être rapproché d'une ZAD. D'abord motivés par des considérations économiques, les Gilets Jaunes ont pris de court un gouvernement se croyant tout auréolé de sa victoire aux présidentielles et aux législatives et donc intouchable. La République en Marche (LREM) considérait au début ce mouvement des ronds-points de province d'un œil méprisant, le présentant au mieux comme nombriliste, au pire comme la porte ouverte au fascisme (car il est bien connu que demander plus de justice fiscale est la porte ouverte à l'extrême droite...). Devant l'ampleur du mouvement, il a très vite fallu le décrédibiliser et montrer les violences en marge des manifestations parisiennes comme seule illustration possible de revendications malgré tout majoritairement pacifiques.

Pour être crédible, un gouvernement doit montrer qu'il sait maintenir l'ordre et garder le soutien de la majorité de la population. Or, ce mouvement mettait en avant que la violence ne venait pas toujours des manifestants et il restait soutenu par une majorité des français, provoquant l'incompréhension et l'irritation des gouvernants et d'une très grande partie des rédactions de ce pays. Les efforts se sont alors concentrés sur la décrédibilisation des Gilets Jaunes, par tous les moyens et par tous les canaux.

Pourquoi un tel empressement? Parce qu'un mouvement comme celui-ci est dangereux en ce qu'il montre qu'un gouvernement légalement en place n'est pas nécessairement légitime. Et si on laisse le temps aux citoyens de réfléchir, ils pourraient arriver à la conclusion que ceux qui sont censés représenter leurs intérêts au parlement en représentent souvent d'autres, totalement contradictoires. La première étape a donc été, pour nos gouvernants, de s'assurer de la fidélité de ceux qui les protègent, à savoir les forces de l'ordre, grâce à des augmentations de salaire (oubliant au passage le discours "les caisses de l’État sont vides!" qu'on ressort quand un fonctionnaire demande un coup de pouce financier). Il a ensuite fallu décourager les manifestants en utilisant tous les moyens disponibles, peu importe leur dangerosité et les séquelles qu'ils pouvaient laisser. Enfin, lâcher quelques miettes afin de faire croire que notre monarque présidentiel se soucie du sort du bas peuple.

La Volte, changement radical sans retour en arrière possible

On l'a vu, les révolutions n'ont jamais changé fondamentalement la distribution du pouvoir, en tout cas pas durablement. C'est en cela que l'exil symbolique, qu'on pourrait aussi désigner sous le terme de Volte, tel que nous l'avons décrit est un danger pour le pouvoir actuel.

La représentation visuelle du pouvoir qu'on nous présente la plupart du temps est celle d'une pyramide avec le gouvernement à son sommet, les corps intermédiaires et le peuple dit "souverain" à sa fondation. La lecture de La Boétie peut induire une représentation différente: celle d'une sphère. Le centre de sphère est alors occupé par le gouvernement (tyrannique ou non) tandis que les corps intermédiaires occupent diverses strates et l'extérieur représente le peuple lui-même.

Cette illustration nous montre, dans le contexte du "Discours sur la servitude volontaire" que l'être le moins libre d'une tyrannie est le tyran lui-même, celui-ci n'ayant aucune échappatoire puisqu'il est entouré de strates l'empêchant d'accéder à un autre statut que le sien. En revanche, les individus constituant le couche externe de cette sphère ne sont retenus que par leur propre volonté. Rien ne les empêche concrètement de s'échapper si ce n'est, là encore, l'habitude.

Le système de pouvoir repose entièrement sur le fait que cette couche externe veuille bien rester à sa place. Si celle-ci s'en va, les autres strates se retrouvent littéralement nues et donc impuissantes. Car ceux qui protègent le pouvoir sont issus de cette couche externe. Si elle disparait, elle n'est plus protégée par un élément extérieur et ne saurait se protéger elle-même d'une violence qu'elle ne connait que théoriquement. Il est en effet très rare de voir un membre du parlement avoir subi dans sa chaire un matraquage de CRS, une pleine bouffée de gaz lacrymogène ou un tir de LBD.

La Volte, quand bien même très limitée, n'est pas tolérable car elle constitue un dangereux précédent. Elle montre que ce n'est pas le peuple qui a besoin de son gouvernement mais l'inverse.

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