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Exutoire d'idées gênantes

La démocratie sans le pouvoir du peuple

27 Octobre 2014 , Rédigé par Valny

Une question stupide

Qu'est-ce que la démocratie ? Quelle est cette grande idée pour laquelle tant de gens se sont battus et sont parfois morts ? Si l'on s'en tient à la définition classique, c'est quand la source du pouvoir d'un régime politique repose sur le peuple. Notre constitution le reconnaît en consacrant le fait que la république est basée sur le principe du gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple.

Arrêtons nous cependant un instant sur ce principe. Certes la république gouverne le peuple français, mais qui le gouverne et dans l'intérêt de qui ? Notre pays est dirigé par un gouvernement issu d'élections libres mais est-ce suffisant pour considérer que c'est le peuple qui gouverne ?

L'illusion du régime représentatif

Notre république est un régime représentatif, les instances de l’État sont censées être formées par des personnes représentant les différents courants politiques de la société. Sauf que ce n'est pas réellement le cas. Le personnel politique français, comme dans la totalité des régimes représentatifs occidentaux, forme une masse majoritairement uniforme issue des mêmes écoles, qui se divise peu ou prou entre quelques partis allant théoriquement de la droite à la gauche, ce qu'on appelle les partis de gouvernement. Il est à noter que ces écoles dont le personnel politique est issu sont le plus souvent les mêmes que celles qui forment les élites économiques du pays et les journalistes qui devraient avoir pour rôle d'apporter une vision critique de leurs actions.

Ainsi, si on observe bien, à la question « qui gouverne ? », on ne retrouve pas le peuple dans son ensemble mais une fraction de celui-ci, une fraction spécialisée et interchangeable. Le peuple a bien un rôle à jouer dans la désignation des gouvernants mais pas celui qu'on pourrait croire. Les citoyens, par leurs votes, n'élisent pas des représentants qui les représentent. Les élus ne sont plus issus du peuple depuis bien longtemps, si on estime qu'ils l'ont un jour été d'ailleurs.

Un mode d'élection qui écarte près d'un tiers des français de la représentation politique

Le système électoral français écarte volontairement les extrêmes de la représentation nationale. Ainsi, la candidate du Front National a obtenu 17,9% des suffrages exprimés lors de la présidentielle 2012 mais ce même parti n'obtient que 2 députés sur un total de 577 lors des élections législatives quelques semaines plus tard, soit 0,35%. De même, Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de Gauche obtenait lui 11,1% des voix lors de la présidentielle mais son parti n'occupe que 10 sièges à l'Assemblée nationale, soit 1,73%.

En plus de cette minoration de certains partis, il faut aussi se souvenir que beaucoup de citoyens votent pour des idées qui ne sont pas du tout représentées au sein des assemblées politiques car ils n'atteignent jamais un seuil suffisant, dans aucune circonscription, pour qu'on parle d'eux.

Une Assemblée nationale loin de représenter la société française

L'Assemblée n'est donc pas représentative des orientations politiques du peuple. Et si on s'attarde sur des caractéristiques moins politiques, on se rend compte qu'elle n'est pas non plus représentative de la société elle-même. En effet, en 2012, les femmes représentaient 51,5% de la population française mais seulement 26,2% des députés.

Une récente analyse menée par un chercheur à l'IEP de Lille a démontré que ce manque de représentativité ne s'arrête pas à la place des femmes. Les députés sont tendanciellement plus vieux que la population, les deux tiers des membres de la chambre basse du parlement ayant plus de 50 ans, alors que les plus de 50 ans ne sont qu'un tiers de la population.

Ce manque de représentativité se retrouve également au niveau des catégories socio-professionnelles. Si les ouvriers et employés composent plus de la moitié de la population active, ils ne sont représentés qu'à hauteur de 2,6% à l'assemblée tandis que les cadres et professions intellectuelles supérieures, qui ne composent que 16,7% de la population active regroupent 4 députés sur 5 !

Un chèque en blanc insusceptible de recours

Il faut ajouter à cela que le mandat de parlementaire n'est pas impératif, ce qui signifie qu'un député, une fois élu, ne peut être démis de ses fonctions par ceux qui l'ont élus, il n'est pas lié par une obligation de résultat. Bref, pour reprendre un bon mot de l'ancien Président de la République Jacques Chirac "les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent".

En somme, élire un parlementaire revient à lui signer un chèque en blanc pour 5 ou 6 ans, selon qu'il soit député ou sénateur, sans aucune possibilité de contrôler ses actions ni de la sanctionner s'il fait des erreurs manifestes ou prend des positions qui ne plaisent pas à la majorité de ses électeurs.

On pourrait arguer que l'absence de mandat impératif permet une plus grande stabilité des institutions. Pourtant ce système existe dans certains Etats américains et certaines provinces canadiennes, or on peut constater que les institutions de ces pays n'ont jusqu'à présent pas sombré dans l'anarchie...

Le type de mandat qui existe aujourd'hui en France est un mandat représentatif. Ce type de mandat permet au représentant élu d'aller à l'exacte opposé du programme qui l'a fait élire sans que rien ne puisse être fait contre lui. Ce type de mandat est par essence même anti-démocratique. Ce n'est rien de moins que ce que pensait Rousseau dans son Contrat Social quand il écrivait " La souveraineté ne peut être représentée par la même raison qu’elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point." Et pourtant, un texte interdit strictement le mandat impératif en France : la constitution elle-même dans son article 27...

Des élus qui ne comprennent pas leurs électeurs

On voit donc que nos représentants ne représentent en réalité pas du tout la société française. Le problème, c'est que ce manque de représentativité a des conséquences assez fâcheuses.

La quasi totalité des députés n'ont jamais du faire face aux services publics qu'ils sont censés organiser. Édicteraient-ils les mêmes règles s'ils avaient un jour été inscrits au Pôle Emploi, s'ils devaient faire des demandes régulières à la CAF ou s'ils devaient faire la queue à la Poste toutes les semaines ? Le principe même des jours de carence en cas de congé maladie montre que nos gouvernants ne comprennent pas que pour certains foyers, la perte de 4 jours de salaires peut mener à une situation difficile. Si ce système permet réellement d'éviter des abus (et il y en a), n'est-il pas excessif?

Ces élus ne comprenant pas les préoccupations quotidiennes des français. Ils finissent par avoir peur de l'opinion des citoyens eux-mêmes parce que ceux-ci, summum de l'horreur, leur répondent parfois non.

Le référendum, la démocratie directe seulement en cas de réponse positive

Le peuple ne peut exprimer clairement son opinion à propos d'une mesure que lors d'un référendum. Le dernier référendum nationale date de 2005. Ce référendum a reçu une réponse négative mais le parlement est ensuite revenu sur cette décision populaire et l'a contourné pour finalement accepter ce que le peuple avait refusé. Depuis, presque tous les candidats à la présidentielle, aussi bien en 2007 qu'en 2012, ont promis que certaines mesures feraient l'objet d'un référendum. Il n'y en a pas eu depuis parce que les dirigeants ont peur d'être désavoués à chaque fois, et non sans raison.

Il suffit de regarder les différents types de référendums qui existent sous la Vème République :

  • le référendum issu de l'article 11 de la constitution qui prévoit de consulter les citoyens sur des sujets législatifs ou sur une ratification de traité, article qui a été utilisé 8 fois depuis 1958. Il n'a reçu une réponse négative que deux fois : en 1969, ce qui a entrainé le départ de De Gaulle du pouvoir, et en 2005, ce qui a gelé, pour un temps, la ratification du traité établissant une constitution pour l'Europe avant que ce traité, expurgé de quelques symboles, soit adopté en 2007, cette fois sans passer par la voie du référendum.

  • le référendum de l'article 89 de la constitution qui est censé être la voie normale de modification de la constitution mais qui n'a été utilisé qu'une fois depuis 1958 alors que la constitution a été modifiée 24 fois pendant la même période. Cette description se passe de commentaire...

  • le référendum local, à l'échelle communale, intercommunale, départementale ou régionale, qui porte sur des mesures en rapport avec les compétences propres de chacune de ces collectivités n'a été utilisé que deux fois : une fois en Corse et une fois en Alsace, et a obtenu une réponse négative dans les deux cas. Ce type de référendum a ceci de particulier qu'il peut être décisionnel ou non. Dans certains cas, il ne s'agit que d'une simple consultation des électeurs dont l'avis pourra très bien être ignoré.

Certains pourraient critiquer cette liste en disant qu'une autre forme de référendum a été ajoutée en 2016 dans le cadre du projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Sauf qu'il suffit de lire le titre de l'ordonnance qui l'a créé pour se rendre compte que ce n'est pas un référendum. On parle en effet de "consultation locale sur les projets susceptibles d'avoir une incidence sur l'environnement". Une consultation n'est par essence pas décisionnelle, c'est un peu comme quand vous faites les magasins avec votre femme et qu'elle vous demande si vous préférez la robe blanche ou la robe noire, que vous dîtes la noire mais qu'elle achète finalement la blanche. On demande son avis au peuple mais croyez bien que si la réponse avait été non, on aurait trouvé très vite des arguments pour montrer que la réponse n'avait finalement pas de valeur et on serait passé outre sans problème.

Des citoyens qui osent dire non

On pourrait penser, comme le font probablement nos élus, qu'au fond les électeurs ne savent pas ce qu'ils veulent. En effet, les citoyens demandent des réformes, des avancées dans beaucoup de domaines et demandent en plus à être associés à ces réformes, mais quand on leur demande leur avis sur les réformes que les élus ont préparé, ils les refusent. A l'inverse, on peut aussi penser que si le peuple refuse certaines réformes quand on leur demande leur avis, ce qui arrive rarement, ils le refusent parce que ces réformes ne leur conviennent pas, qu'elles sont mauvaises ou n'ont, en soit, pas grand intérêt et ne méritent pas qu'on se déplace pour donner un avis.

A chaque fois qu'un projet a fait l'objet d'un référendum, les élus attendaient une réponse massivement positive, ils ne comprennent pas qu'on leur dise non, à eux, représentants élus du peuple, détenteurs de la légitimité nationale et tous ces grands mots qui sonnent bien creux quand on observe attentivement à quel point ils sont représentatifs, comme nous l'avons montré plus haut.

L'absence de référendum d'initiative populaire

Parmi ces différents types de référendum, aucun ne peut réellement être initié par les citoyens. La révision constitutionnelle de 2008 a bien introduit une possibilité de "référendum d'initiative partagée" entre les parlementaires et les citoyens mais la possibilité de le mettre en œuvre est tellement réduite qu'on pourrait aussi bien dire qu'il n'existe pas. Une consultation locale peut être demandée par un ensemble de citoyens d'une collectivité donnée dans le cadre d'une pétition mais même si le nombre de signature est atteinte, le conseil délibérant de la collectivité peut ne pas en tenir compte et même si la consultation est organisée, elle n'a pas valeur décisionnel et l'avis des citoyens pourra être enterré comme n'importe quelle pétition.

Que peut-on conclure de ce long texte ?

D'abord que ceux qui prétendent nous représenter ne sont nullement représentatifs des français, ni par leur genre, ni par leur origine ethnique ou sociale. Ils ne sont pas non plus, ce qui est plus grave, représentatifs des opinions politiques de la société française.

Ensuite, que nos élus gouvernent selon le principe de l'intérêt général avec l'idée qu'ils sont les seuls à savoir ce que c'est et que les citoyens ne sont manifestement pas capables de donner leur avis de manière éclairée, il n'est donc pas nécessaire de leur poser la question.

Enfin, quand on ose demander l'avis des citoyens, cet avis n'est jamais décisionnel, même quand il est censé l'être.

Reste donc une question, à l'issue de cet exposé. Les élus, les membres des partis politiques de tous bords, y compris les extrêmes, mais aussi les enseignants de tous les niveaux scolaires et même la quasi unanimité des journalistes prônent que notre République est une démocratie. Mais en quoi un régime où le pouvoir est assumé par une élite homogène et fermée et où l'avis du peuple n'est que consultatif est une démocratie?

Personnellement, j'appellerais ça plutôt une aristocratie élective.

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