La primaire de la droite va-t-elle sauver la gauche?

Un résultat pas si surprenant

Le 20 novembre au soir, on apprenait que Sarkozy était désormais à ranger définitivement au placard de la République. Il devra malheureusement se contenter de sa retraite de président, cumulée bien entendu à sa retraite de ministre, de maire et à son salaire de membre du Conseil constitutionnel. Certes, l'attrait pour la dorure de notre cher ancien président n'en sera pas satisfait mais ça permet de vivre assez confortablement quand même.

A la place, le peuple de droite a dû choisir entre Alain Juppé et François Fillon, avec un net avantage pour ce dernier. Beaucoup n'avaient pas vu venir ce scénario, il n'est pourtant pas si surprenant. En effet, s'il est sans doute vrai que des sympathisants de gauche ont voté à cette primaire uniquement pour éliminer Sarkozy, il n'en reste pas moins que les deux candidats restants sont de dignes représentants de la droite. Sur la forme, ils sont quelques peu différents, leurs visions de la société idéale diffèrent, mais dans le fond, on reste sur des candidats libéraux comme il faut, avec un discours anti fonctionnaire et une critique des aides sociales très normales pour ce côté de l'échiquier politique.

Si tout le monde (et quand on dit tout le monde, on pense bien entendu à toutes les élites politico-médiatiques de ce pays) voyaient un duel entre Sarkozy et Juppé, l'élimination de l'ancien président n'a pourtant pas grand chose à voir avec la participation supposée massive d'électeurs de gauche. La France de droite a peut-être adoré Sarkozy pendant des années, il y a un moment où ils ont peut-être compris qu'un homme qui prône l'impunité zéro mais qui doit slalomer entre les juges n'est sans doute pas le mieux placé pour en parler. Quand au pourfendeur de l'immigration fils d'un hongrois et d'une française d'origine grecque et marié avec une italienne, ça finit par sentir le contresens. De même que celui qui veut défendre le modèle traditionnel de la famille alors qu'il s'est marié 3 fois semble de moins en moins crédible.

C'est là qu'on comprend finalement l'avance de Fillon. Ce fringant catholique traditionaliste, né en Vendée mais élevé en Sarthe, sent bon la famille française d'autrefois. Son épouse mère au foyer et ses 5 enfants sont l'archétype de ce que les nostalgiques de tous poils n'aimaient pas chez Sarkozy. De plus, ses positions conservatrices sur les homosexuels et leur droit à l'adoption, sur la contraception et l'IVG reprennent tellement les positions de l'Eglise qu'on pourrait le croire investit par le pape lui-même. Son programme économique n'est finalement pas si différent de celui de Juppé, c'est donc plus de ce côté là qu'il faut comprendre la réussite Fillon.

La droite française ne peut plus vraiment communiquer sur son programme économique pour attirer les électeurs depuis que le parti socialiste l'a adopté et mis en place lui-même. Il fallait donc quelque chose de différent. Car franchement, voit-on une vraie différence d'idée entre Juppé et Valls? Il fallait donc trouver autre chose. C'est en cela que la première place de Fillon n'est pas si étonnante.

L'épine dans le pied du FN

Bien évidemment, si certains se réjouissent, d'autres font plutôt grise mine, au premier rang desquels Marine Le Pen. Les frontistes se frottaient déjà les mains à l'annonce d'une candidature de Juppé ou de Sarkozy mais Fillon n'est pas une bonne nouvelle pour eux. Pourquoi ça? Tout simplement parce que Fillon reprend les valeurs de la France catholique d'autrefois qui a fait les choux gras du FN ces dernières années. A ceci près que Fillon n'est pas entaché de la mauvaise réputation du parti d'extrême-droite, celui-ci restant fondamentalement raciste, xénophobe et ambigu sur l'opinion qu'il a du régime du Vichy, entre autre.

Il aurait été beaucoup plus facile de faire campagne contre Sarkozy le repris de justice ou Juppé le bobo bordelais. Fillon c'est plus compliqué. On peut bien sûr l'attaquer sur son éloignement de la frange la plus pauvre de la population et son absence de connaissance sur les problèmes de banlieue, cette critique peut se retourner contre Marine Le Pen, elle-même élevée dans un château à Saint-Cloud... Quand aux valeurs portées par Fillon, il prône l'assimilation des immigrés sans pouvoir être taxé de xénophobie, n'est personnellement pas pour les droits des homosexuels ou le droit à l'avortement sans vouloir revenir sur les lois existantes, et a une vision de la laïcité proche de celle du FN. Et cette vision de la laïcité est en fait plus un point de vue islamophobe qu'une neutralité bienveillante.

En clair, François Fillon défend les mêmes idées que le FN quant aux valeurs sociétales mais sans aller assez loin pour être calquées sur la version frontiste et sans la démagogie propre à Sarkozy.

Reste son programme économique. Et c'est sans doute là que le FN pourrait frapper. Sauf que de programme économique, le FN n'en a pas vraiment. On parle bien sûr de rompre avec l'Union Européenne, de sortir de l'Euro, de fermer les frontières, mais qu'est-ce que ça apporterait au fond? Personne ne le sait. Fillon présente un programme à la Thatcher qui a fait ses preuve outre-Manche il y 35 ans. Bon, la date de péremption est peut-être un peu passée mais ça vaut sans doute la peine d'essayer. Et faute d'avoir des mines à fermer, Fillon pourra se reporter sur les fonctionnaires.

Un électorat limité

Avec leur nouveau porte-étendard, Les Républicains semblent avoir fière allure et se disent certainement qu'il vont faire mordre la poussière à leurs ennemis jurés que sont les socialistes (même s'ils n'ont plus de socialistes que le nom, mais c'est une autre histoire). Les partisans de Fillon semblent presque croire qu'ils ont déjà remporté la présidentielle. Sauf qu'ils oublient un peu vite les sages paroles de celui qu'ils considèrent pourtant comme leur mentor, à savoir le général De Gaulle : "Ce n'est pas la droite qui fait la France..." Parce que oui, les gens qui ont voté à la primaire de la droite sont quand même surtout... de droite. Etonnant non?

En réalité, les électeurs de Fillon sont les électeurs traditionnels de la droite, à savoir les CSP+ comme on les désigne aujourd'hui de manière technocratique, ou plus précisément les patrons, les cadres supérieurs, les professions libérales et les commerçants. Ceux qu'on désignait, il n'y a pas si longtemps encore, comme les bourgeois. Les classes populaires n'ont que très peu voté à cette primaire alors qu'ils représentent encore 60% de la population active. Autrement dit, se croire vainqueur parce qu'on a récolté les deux tiers des voix d'un groupe qui ne représente qu'un quart de la population, c'est avoir quelques problèmes de compréhension des fractions. Mais apparemment, c'est un problème courant en France...

Le retour à une vraie opposition droite/gauche?

En résumé, voila donc un candidat aux valeurs conservatrices, avec un programme économique libéral (laissons le "ultra" aux journalistes en quête de sensationnalisme et aux agitateurs d'extrême-gauche) et soutenu par "la classe dominante" de la société. Nous sommes donc revenus aux sources de la lutte des classes en quelque sorte. Reste à savoir qui opposer à notre joyeux luron de la Sarthe. Et c'est là que la "gauche" va avoir un problème.

Depuis son arrivée au pouvoir en 2012, le parti socialiste a réussi à prouver à tout le monde qu'il n'était plus le représentant de la "gauche molle" mais plutôt de la "droite molle". A l'exception de la loi sur le mariage homosexuel, il n'y a pas eu de différence notable entre la politique de la droite au pouvoir entre 2007 et 2012 (sous un gouvernement dirigé par Fillon justement) et les politiques menées par Ayrault et Valls depuis 2012. Si un représentant du PS se présentait en 2017, il passerait pour un autre candidat de droite et non un candidat de gauche. Qui oserait qualifier de socialiste Manuel Valls, François Hollande ou Emmanuel Macron?

C'est là qu'une ouverture se profile pour la gauche, la vraie. Et si justement la désignation de Fillon était la plus belle opportunité pour une vraie candidature de gauche? Le PS seul ne peut espérer gagner cette élection, pas plus qu'aucune autre dans les 5 ans qui viennent, mais les partis qui gravitent autour de lui ne sont pas sans ressources. Si les partis de gauche parviennent à s'unir et à limiter les candidatures dissidentes, ils parviendront peut-être à gagner la présidence comme Mitterand l'a fait en 1981. La présidence Hollande pourrait alors être vue comme une parenthèse comme l'a été celle de Giscard, une sorte de transition.

A ceux qui prédisent déjà un second tour entre Marine Le Pen et François Fillon, j'ose répondre que les sondages n'ont jamais eu aussi mauvaise presse. Rappelons simplement que si le FN progresse dans les urnes, ce n'est pas seulement en gagnant des voix mais surtout en profitant de l'abstention des électeurs de gauche. En l'absence d'un vrai candidat de gauche, ce n'est pas Le Pen qu'on risque de voir arriver au second tour en avril prochain mais Mélenchon. Bien qu'il ne semble pas plus dangereux pour le pays que Le Pen, il n'est pas sûr qu'une victoire de ce candidat soit souhaitable du fait de ses positions anti-européennes et de sa démagogie à la hauteur de celle de Sarkozy.

Reste à savoir qui, à gauche, pourra se montrer à la hauteur de ce défi perdu d'avance qui est de redorer l'image des valeurs de gauche tellement salies par 5 ans de présidence Hollande, de renvoyer Le Pen à l'extrême-droite et Mélenchon à l'extrême-gauche tout en combattant les idées réactionnaires de Fillon... Si un vote ne se basait que sur la personnalité et les idées d'un candidat, seule Christiane Taubira répondrait actuellement à ces critères. Sauf que dans un pays qui semble se découvrir une nouvelle passion pour les idées réactionnaires, élire une femme (une femme!), et noire de surcroit, à la tête du pays, ce n'est pas demain la veille que ça arrivera. Finalement, il va falloir se faire à l'idée : Fillon risque bien d'être le prochain président...